Dans la peau d'un migrant by Frayer-Laleix

Auteur:Frayer-Laleix
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard
Publié: 2015-08-15T00:00:00+00:00

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« Ça fait quarante et un jours

que je n’ai pas travaillé »

Il existe une hiérarchie informelle dans les petits boulots qu’exercent les clandestins d’Istanbul. Elle n’est inscrite nulle part, n’est connue de personne, sauf de ces hommes qui n’ont pas de papiers et doivent se débrouiller pour survivre.

Küçüksu (la « petite eau ») est le nom du palais d’été des sultans ottomans, un monument très visité par les touristes, situé sur la rive asiatique du Bosphore. À quelques rues de là se trouve un lieu qui n’est mentionné sur aucun plan, où se rendent les plus pauvres des pauvres pour trouver du travail à la journée sur les chantiers de construction. Seules des personnes vivant dans ce quartier pourront vous indiquer son emplacement. Les associations d’aide aux sans-papiers que j’ai contactées n’en ont jamais entendu parler. Istanbul, avec ses 14 millions d’habitants, est devenue si tentaculaire que l’on peut y vivre sans rien connaître des quartiers voisins.

Rangin m’avait parlé de cet endroit en termes vagues lors de nos premières rencontres, en novembre 2013. Il y a vécu et travaillé pendant un mois, s’esquintant le dos à porter des sacs de ciment de 30 kilos. C’est grâce à sa connaissance de l’anglais qu’il a pu s’extirper des chantiers pour monter – légèrement – dans la hiérarchie sociale des clandestins en devenant serveur de restaurant. « Les chantiers de Küçüksu, m’avait-il dit alors, c’est le pire du pire. C’est ce qu’on fait quand on n’a plus rien. La dernière chance avant de mourir de faim. »

Sas d’arrivée des clandestins, Küçüksu est le fond du panier, le bout du rien. Ceux qui y travaillent ne cherchent même pas à gagner de l’argent pour financer leur passage en Europe, seulement à faire chauffer la casserole le soir. Les salaires sont trop bas pour penser économiser quoi que ce soit.

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